
D’où viens-tu ?
De la banlieue parisienne
Où vas-tu ?
Quelque part ... J'espère
À propos de la nuit.
Cette nuit-là, je ne pouvais dormir. En vérité, cela faisait des mois, voire des années que je n’avais pas trouvé le sommeil. J’avais beau prendre autant de substances, essences, médicaments, potions, onguents en tout genre, la vie qui m’animait était trop forte pour que je puisse sortir du mouvement immanent à celle-ci.
Alors cette nuit, j’ai décidé que non, je ne pouvais me résoudre à continuer cette éternelle journée, car aussi belle qu’elle puisse être, elle ne pouvait trouver sa raison d’être que dans sa finitude. Ainsi, j’ai embrassé mes amis et ma famille. J’ai fait mes adieux aux êtres autour de moi et je suis parti.
C’est terrible de partir en sachant qu’on ne reviendra jamais. Seulement, une fois délivré de tout ce qui faisait de moi ce que j’étais, j’ai pu trouver le sommeil. Dans les méandres de la nuit - ce chaos où toutes les choses existent dans une potentialité et où l’on semble apercevoir le réel avec une lampe torche, par bribe mouvementé - j’ai enfin pu réinventer la forme des choses, la texture des couleurs, la tonalité des sons. J’ai pu redéfinir les limites de la vie en commençant par l’histoire de cette nuit-là où je ne pouvais dormir.
Ton premier souvenir nocturne ?
Je me souviens de la fois où, perché sur un arbre, l’animal sombre m’a parlé. Informe et obscur, derrière ses énigmes, j’ai deviné ses récits, ses intentions. Sous forme d’allégories étranges, il m’a conté les histoires des siens et les passions qui l’animaient. Tout parlait de colère, de possession, d’amour, de guerre. Et plus il m’en disait, plus je me découvrais que ce n’était pas le désespoir de sa finitude qui l’animait mais bien l’ardeur.
Tous ces êtres dont ils me parlaient, voulaient laisser leur marque au plus profond de l’existence, pour le meilleur et pour le pire. Ils brulaient au plus fort d’eux-même, et de toute leur flamme, pour qu’on se souvienne de ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont fait.
Pourquoi
la peinture ?
La peinture me permet de représenter des images hallucinées, des espaces distordus. Elle me permet de passer par le geste, de réinterpréter les formes et de les soumettre à ma volonté, à mes désirs de fictions, à mes idéaux oniriques.
Pourquoi
les garçons ?
Dans mes peintures, la sexualité - de par les corps nus - est très présente. Lorsqu'il s'agit de sexualité, je ne peux que parler de moi-même, de mon expérience et de mes désirs. C'est pourquoi le corps de l'homme est aussi présent.


Le son qui te rend lucide ?
Le son de la guitare qui vrombit, de la voix qui se casse. Le son de la caisse claire, si puissant qu’elle semble se transpercer à chaque battement. Le rock qui, comme une peinture, ne cesse de réinventer sa forme, comme cet animal insaisissable, qui ressemblait à tous les autres et qui me parlait la nuit.
Je ne me lasse pas d’essayer de comprendre, à chaque arrangement, les effets qu’il produit, son originalité et ses couleurs. J’aime pousser plus loin, plus violent encore, plus incompréhensible et plus complexe. Jusqu’où peut-on aller dans la passion avant qu’elle perde sa forme pour sombrer dans le bruit ?
C’est dans ces sons que j’ai compris que ce qui comptait n’était pas de questionner la forme par la forme mais de l’utiliser afin d’y créer le récit. Que le récit était le vaisseau qui permettait à la traversée chaotique de l’existence de se multiplier à tel point qu’on n’en distingue plus les limites et qu’elle glisse doucement vers l’éternité.
Une date.
« De même que deux objets semblables ne le sont pas à partir du moment où ils sont situés dans différents espaces, un moment n’est pas lui-même lorsqu’il est vécu. Le temps de réaction et de compréhension fait que nous ne pouvons appréhender le présent. » C’est en tout cas ce qu’affirmait Delphine Courbelle. Mais alors qu’elle me disait ça, en faisant de grands gestes dans son bureau, je savais que nous étions le mercredi 29 décembre 2021. Je me demandais si ce n’étais pas cette certitude qui faisait que nous étions à un moment donné et pas à un autre. Je me surpris alors à penser fort : « - Faites que nous soyons ce jour où j’ai enfin trouvé le sommeil ! »
Un rêve.
Mon rêve c’est la multitude. C’est l’enchevêtrement, la fusion, la métamorphose. C’est deux corps qui s’enlacent, bien entendu. Mais c’est aussi les pensées qui passent dans mon bas ventre, la portée de porcelets que je vais enfanter très bientôt, les écailles qui me poussent sur les épaules.
Mon rêve c’est de me réveiller un jour et de ne plus pouvoir bouger. Je me rends compte que quand je veux lever ma main, c’est la patte de mon chat qui bouge. Que quand je me lève, c’est son corps qui répond à ma place. Je miaule de panique. Je sursaute et je vois que je n’étais pas endormi, c’était juste cette journée éternelle où je ne pouvais trouver le sommeil.
Une phrase qui te ressemble.
J’ai cherché ce qui me ressemblait. Naturellement je me suis trouvé en face du miroir. Et alors que je m’étudiais afin de trouver la phrase qui résumerait le mieux ce que je voyais, j’ai observé les petits espaces dissociatifs entre la trace, la substance, les émotions, les définitions. J’étais dans la confusion totale, car je voulais prendre en compte toutes les données sans opérer de choix.
Naturellement, on se doit, pour être au plus juste de la ressemblance, de donner toutes les facettes d’un sujet. Seulement, à chaque caractéristique s’ajoutait des variations et déclinaisons aussi nombreuses et multiples qu’il y avait de mot en ma connaissance. J’en arrivais à faire des analogies entre des sensations internes, que je pensais avoir vécues selon mes souvenirs, et des récits qu’on avait pu me raconter. Là, dans le miroir de ma salle de bain, les êtres fourmillaient en moi, transformant la matière de mon visage, distordant ma peau et superposant les couches sur mon visage difforme. J’étais devenu un monstre.


Pourquoi es-tu
plus jeune ?
Je suis encore jeune, je vous jure.
Ma peinture est jeune, même lorsque les corps sont vieux.
Le corps adolescent est étrange, hybride, en pleine métamorphose. Quoi de mieux pour représenter le changement qu'un corps jeune ? Ou son propre corps ? L'acte même de se représenter est une expérience étrange. Dans mes peintures, d'une certaine manière, tous les corps sont les miens. Tant que je me sentirai jeune, tous ses corps seront sujet à la métamorphose, à l'hybridation.
Pourquoi es-tu
plus beau ?
Je suis encore beau, regardez mes peintures.
Alex Huthwohl

