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Iram Haq
LIBERTÉ(S)

"Le bonheur dépend uniquement de notre instinct"

La mauvaise réputation est un concept qui contrôle nos vies, met à bas les espoirs d’auto-gestion et empêche beaucoup trop de personnes de vivre comme ils l’entendent. Au coeur de certaines cultures, la mauvaise réputation est un tyran qui détruit tout sur son passage et annihile la moindre opportunité de se saisir ou d’embrasser le bonheur mérité par chacun.

 

« La mauvaise réputation » de Iram Haq enfonce une porte durement verrouillée et placardée du mot le plus écrasant de notre société : le tabou. A travers son expérience personnelle, la cinéaste norvégienne nous expose un film dérangeant, angoissant, qui introduit tout autant de colère que d’espoirs. Nisha a 16 ans et vit comme toutes les jeunes filles européennes de son âge. A ceci près que ses parents, pakistanais d’origine, tentent de lui inculquer une culture et un mode de vie primaire, patriarcale, empoisonné de religion et de rabaissement. Ils entendent faire de leur fille une avocate, un médecin, un modèle de réussite ayant parcouru avec succès de grandes études, dans un pays offrant toutes les possibilités. Mais tout en gardant à l’esprit qu’il ne faut en aucun cas s’intégrer au pays en question, refusant ses pratiques, ses parités et ses libertés individuelles et sexuelles. Surprise avec un garçon, Nisha est violenté, kidnappée et conduite de force au Pakistan pour y être éduquée à la « dignité » et ainsi rectifier le tire ; permettre à sa famille de retrouver un peu de respectabilité aux yeux de leurs semblables, dont le regard génère autant de honte que de diktats. 

 

C’est le point de départ d’une descente aux enfers vécue par la cinéaste Iram Haq il y a 25 ans, qui nous propose ici de l’accompagner dans ce voyage fait de terreurs, de violences et d’extrême barbarie. Le monde des non-dits, du sexisme, des mariages forcés et des contradictions les plus insupportables. Celles qui amènent certaines famille à refuser toute forme d’intégration, principalement concernant leurs enfants, tout en souhaitant que ces derniers puissent profiter de la moindre aubaine financière et professionnelle. 

 

Avec une force salvatrice, une maitrise cinématographique aussi sublime que poignante, Iram Haq met en place un film politique, gracieux, puissant et terrifiant, qui soulève les questions de la manipulation, de l’oppression et de la honte. Rencontre avec une survivante, une femme déterminée et engagée qui cherche à instaurer un dialogue primordial et indispensable.

par Mathieu Morel et

Léolo Victor-Pujebet

A l’origine du film, une histoire personnelle…

 

C’est une vaste partie de ma vie et au vue du sujet, ça a été très difficile d’écrire ce film. Mais le plus compliqué a été de trouver le bon angle pour aborder cette histoire, pour entrer en profondeur au coeur de toutes ces émotions que j’avais mises de côtés. Je les avais enfermé depuis des années, quelque part où elles ne me tirailleraient plus. J’étais tellement jeune quand j’ai été kidnappée et envoyée au Pakistan que ça a été une véritable épreuve de revenir vers ce passé, de l’explorer, de le repenser. Dans l’intérêt du film, il fallait retrouver les émotions brutes et les livrer de façon sincère. J’ai embrassé ces souvenirs, je les ai laissé m’habiter à nouveau. Puis l’écriture a commencé, je me suis servi de ce passé mais, petit à petit, l’histoire est devenue une histoire, une fiction. Le récit d’une autre jeune fille. Finalement, en travaillant là-dessus j’ai réussis à m’en extirper.

Votre père est décédé durant l’écriture du film. Cela a-t-il eu une influence sur votre vision, et sur son personnage ?

Oui complètement ! Vous savez, nous étions totalement séparés depuis des années, notre relation était encore hostile et évidemment, on ne se voyait jamais. Plus de 20 ans ont passé ainsi, puis il est tombé malade, on est venu me parler de cancer… Et vous savez, il avait déjà 81 ans, peu d’espoir se profilait. Il devait bien le ressentir, c’est sans doute ce qui l’a poussé à me parler et à me dire « pardon, pardon pour tout, pour tout ce que je t’ai fait ». Et à partir de là, nous sommes devenus proches, de vrais amis. C’est insensé, lorsque j’étais jeune, je n’aurais jamais imaginé pouvoir me sentir un jour proche de lui, entretenir ce genre de relation amicale. Parce que jusqu’alors, j’en avais très peur. Mais sur la fin, nous avons commencé à parler de toute cette histoire. Il s’en voulait réellement, sincèrement. J’ai été prise au dépourvu, je ne m’attendais pas à tout ça… Il m’a beaucoup parlé de ce qu’il ressentait, de ce qu’il avait ressentit à l’époque de ces sombres événements. Donc forcément, cela à nourrit ma vision du film et de son personnage. Il m’a parlé de sa migration, du travail acharné qu’il a fourni, de la peur qu’il ressentait chaque jour, des espoirs qu’il avait pour ses enfants… Je l’ai découvert, entièrement découvert. Ce que j’ai retenu finalement, ce n’est pas l’attachement aux traditions qu’il pouvait entretenir, ce n’est pas la colère qu’il éprouvait à me voir ressembler aux européens plutôt qu’à lui, mais le simple fait que je devienne… Adulte. Dans le fond, il aurait simplement voulu me voir demeurer une enfant. Tout ceci mêlé à l’amour qu’il a manifesté à mon égard dans les dernières semaines de sa vie ont évidemment transformé en partie ma manière de voir le film et de l’aborder. Mais vous savez, nous n’avons aucun regret quant à nos vies séparées, parce que d’une manière ou d’une autre, nous n’aurions pas été capable de vivre ensemble plus longtemps. Son fort caractère était aussi têtu que le mien ! J’avais besoin de partir. Même si les choses s’étaient passées différemment, j’aurais fini par partir. Mon seul regret est qu’il ne se soit pas excusé un peu plus tôt, pour que nous puissions passer plus de temps ensemble

Lui avez-vous pardonné ?

 

Oui. C’était très surprenant d’entendre ses excuses. Mais je les ai accepté immédiatement. C’était fantastique, très agréable, mais aussi très triste, car cet événement est arrivé au seuil de la mort…

Ce film est une quête d’identité. Celle d’une jeune fille norvégienne, enracinée dans la culture pakistanaise que ses parents essayent de préserver à tout prix. Elle ne trouve pas sa place en Norvège car ses parents l’en empêchent, mais elle n’est pas non plus chez elle au Pakistan. Qu’en est-il de vous Iram ? Ressentez-vous une appartenance spécifique à une culture ?

C’était très difficile d’équilibrer ces deux mondes et de vivre avec la culture pakistanaise auprès d’enfants norvégiens. Tout comme mon personnage, au début du film, j’ai essayé de construire une sorte de double vie. Ce qui, finalement, n’était pas possible, générait trop de problèmes et n’avait pas vraiment de sens. Donc en revenant du Pakistan, j’ai quitté ma famille et ai commencé à vivre comme je l’entendais, comme une jeune fille norvégienne. Je suis norvégienne. Mais le Pakistan ne m’a jamais totalement laissé. J’ai ces deux culture en moi et j’entretiens toujours un très grand intérêt pour les choses qui viennent du Pakistan et d’Inde. Et puis je parle la langue, ce qui a été très pratique puisque nous avons tourné toutes les scènes pakistanaises en Inde. Avoir ces deux univers en moi est d’une grande richesse. Je considère cela comme une force.

Votre film évoque des conflits culturels, mais aussi générationnels.

Oui. Je pense que l’on aborde tous ces thèmes un jour ou l’autre, et qu’ils s’insinuent en nous tous lorsque nous grandissons. De manière générale, les conflits culturels et générationnels attraient au contrôle social, au fait que tout le monde soit piégé. Dans ce film, la fille est piégé, le père est piégé, la mère, le frère… Ils sont tous contraints, par leur univers et surtout par les autres. On retrouve cela partout, dans une certaine mesure. Même en Norvège je remarque que les gens font très attention au regard des autres et accordent beaucoup d’importance à ce que leurs voisins diront. C’est le contrôle social et c’est le sujet qui m’intéresse le plus dans cette histoire. Pourquoi faisons nous ce que les autres attendent de nous ? Pourquoi ne pas simplement faire ce que nous sentons être la bonne chose, au fond de nous ? Donc, en contournant l’héritage culturel et l’avis de nos parents, ce qui nous ramène effectivement aux conflits dont vous parlez. 

"discuter est le meilleur moyen de comprendre"

Le regard des autres, et la honte qu’il peut inspirer, dicte des vies entières.

Oui, je le pense. Et je l’ai vu. C’est pour ça que je suis assez contente de la manière dont se termine le film. Je voulais apporter quelque chose, que mon histoire puisse servir. A la fin, elle se libère elle-même. Elle fait le choix de se libérer, de suivre son coeur. C’est très difficile de suivre son coeur, c’est parfois très effrayant car on ne sait pas jusqu’où il pourrait nous conduire, donc ça demande un certain courage. Mais c’est bien le meilleur moyen de s’extirper au regard des autres. Le père contribue d’une certaine manière à cette libération. Car il ne lui court pas après, il accepte, il la laisse partir. 

Votre film n’est pas une dénonciation, mais un constat. Celui d’une idéologie inflexible qui bloque les gens et ne les laisse pas suivre la vie qu’ils auraient choisi. 

Oui bien sûr. Et c’est quelque chose qui se transmet. Je voulais donc mettre en avant l’influence des parents, la manière dont ils vont introduire leurs propres peurs dans l’esprit de leurs enfants. Si bien qu’il y tant de jeune gens, en danger, qui sont incapable aujourd’hui de prendre des décisions qui leurs sont propres et se contentent de suivre les règles que les autres leurs dicteront.

Votre film est comme un appel à mesurer les conséquences que peuvent avoir certains actes…

Absolument. Ce que je souhaite plus que tout à présent, c’est que l’on construise un pont entre les générations et que les gens commencent sérieusement à parler de ces problèmes en cessant d’en avoir peur. Les gens doivent se débarrasser de ces sentiments de honte qui les hantent systématiquement et contrôlent le moindre détail de leur vie… Discuter est le meilleur moyen de se comprendre. Je crois en la parole libre, en la pensée libre, et je les défendrais toute ma vie. Ouvrez votre esprit ! Il n’y a pas qu’une manière de penser. Il existe des centaines de manières de penser.

L’esthétique du film est très authentique, mais elle laisse de la place à l’onirisme du quotidien. Comment avez-vous abordé cette narration ?

Ca a été un long voyage, un gros travail. J’ai commencé à écrire le film en 2014 et je voulais évidemment être la plus authentique possible. Comment vivent-ils ? Quels détails réalistes vont ponctuer leur existence à l’écran ? Comment mettre en évidence à la fois la laideur et la beauté de la vie ? Et au milieu de tout ça, on doit exprimer les sentiments intérieurs du personnage. Je réfléchis toujours à l’esthétique à partir des émotions internes du personnages. C’est alors qu’un équilibre se crée entre onirisme et réalisme. 

Pour finir, quel conseil donneriez vous aux jeunes-gens, à travers le monde, qui se sentent ainsi piégé dans cette vaste manipulation sociale ?

Je voudrais d’abord leur dire que je comprend totalement la peur qu’ils éprouvent à l’idée de suivre leur coeur et leurs rêves personnels. La peur des conséquences, des punitions. La peur de finir seul… Mais le bonheur dépend uniquement de notre instinct, et dans quel mesure nous choisissons de l’écouter. Notre instinct aura toujours raison, il sait pertinemment ce qui est bon pour nous. Et même s’il nous arrive de faire quelques erreurs, le simple fait d’écouter notre coeur prouve que nous sommes sur le bon chemin. Et surtout, n’écoutons pas les autres. Jamais.

Espérez vous que votre film puisse contribuer à cette idée, en changeant les choses ?

Oui. J’espère qu’il pourra aider certaines personnes à ouvrir un peu plus leur esprit. Mais ce que j’espère aussi, c’est que des personnes qui sont socialement contrôlées puissent s’en rendre compte. Parce que dans ce vaste problème, il faut aussi prendre en considération que beaucoup de gens n’ont pas du tout conscience d’être ainsi pris au piège. Ils pensent que c’est normal, que c’est la vie. Mais ce n’est pas normal ! La manipulation est difficile à contourner et la première étape c’est d’en avoir conscience. J’espère donc que cela aidera les gens à y voir plus clair, voir à quel point tout ceci est douloureux. J’espère que les langues vont se délier et que les dialogues vont enfin commencer.

"OUVRIR UNE PETITE BRÈCHE"

C’est pour ça que vous faites du cinéma ?

C’est en tout cas pour ça que j’ai fais ce film en particulier. J’ai envie de raconter cette histoire depuis très longtemps, depuis l’adolescence. Cela a pris beaucoup de temps et d’années pour construire tout ceci et lui donner un corps et du sens. C’était très important pour moi car beaucoup de sujets et de questions sont mises en avant ici. J’espère qu’elles trouveront un écho quelque part et que les gens seront plus attentifs. Cela ne concerne pas que les pakistanais ou les femmes, il y tant d’autres exemples, y compris pour de jeunes garçons qui, en plus du reste, doivent cacher toutes formes de sensibilités et accepter également des mariages forcés. Si il m’est possible d’ouvrir une petite brèche et un dialogue grâce à ce film, j’en serais très heureuse.

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