Masterclass - Abdellatif Kechiche - VF
- Forum des Images
- 3 nov. 2010
- 4 min de lecture
Mercredi 3 novembre 2010, rencontre avec Abdellatif Kechiche au Forum des Images, animée par Pascal Mérigeau. À la fin de La Faute à Voltaire, son premier film, il était déjà question de La Graine et le Mulet. Entre les deux, il y eut L’Esquive, les mots de Marivaux mêlés aux mots des cités, les sentiments d’autrefois confondus à ceux de maintenant. Et aujourd’hui, Vénus noire, film essentiel, film implacable, qui ne cherche pas à plaire, au motif premier que les thèmes qui le constituent n’ont rien de plaisant.

Abdellatif Kechiche a attendu si longtemps de pouvoir faire du cinéma qu’il porte en lui plus de scénarios qu’il n’en filmera jamais. Le premier court métrage à trente-six ans, le premier long à quarante, après quatre rôles qui eux-mêmes venaient après quelques figurations. Le cinéma, il l’a vu vivre sous ses fenêtres, quand les limousines déposaient les stars, Alain Delon en tête, venues tourner dans les studios de la Victorine, à Nice. Il s’est dit d’abord, sans doute, que ce monde n’était pas le sien, qu’il n’y entrerait jamais, ou bien s’il ne l’a pas pensé, d’autres se sont appliqués à l’en persuader. En pure perte, heureusement. La Graine et le Mulet aurait pu être son premier film, financement sauvage, tournage à l’arrache, avec son propre père dans le rôle principal, et puis au tout dernier moment, l’esquif a pris l’eau, envoyé par le fond. Mais lui n’a pas lâché, d’ailleurs il ne lâche rien, jamais. Et c’est aussi pour cela que ses films sont ce qu’ils sont, incandescents, identifiables dès la première image, la marque des grands, de ceux, si rares, dont on ne peut que se demander comment ils font. Oui, comment fait-il pour obtenir ce que les autres, tous les autres, ne parviennent pas même à approcher, à quoi probablement ils n’osent pas même rêver. Le cinéma d’Abdellatif Kechiche a l’éclat et la pureté du diamant, ses films prennent la forme d’une succession de petits miracles, leur force est celle de l’évidence, qui dissimule, élégance suprême, cette volonté d’acier et ce travail de titan sans lesquelles les intuitions les plus géniales ne sont rien. L’homme qui les façonne, dans l’exigence, dans l’obstination, dans la douleur et le conflit parfois, est à leur image, unique.
Originaire de Tunisie, arrivé à Nice à 6 ans, le jeune Abdellatif Kechiche prend des cours de comédie au Conservatoire d'Antibes. Passionné par le théâtre, il enchaîne les spectacles, comme acteur (il joue en 1978 du Garcia Lorca à Nice et l'année suivante une pièce d'Eduardo Manet à l'Odéon) mais aussi comme metteur en scène (il monte à Avignon en 1981 L'Architecte et l'empereur d'Assyrie d'Arrabal). Sollicité par le cinéma, il décroche le rôle principal du Thé à la menthe d'Abdelkrim Bahloul, celui d'un immigré algérien vivant d'expédients.
Gigolo chez André Techiné (dans Les Innocents, face à Brialy en 1987) puis dans le très remarqué Bezness de Nouri Bouzid (avec à la clé un Prix d'interprétation à Namur en 1992), Abdellatif Kechiche décide ensuite de passer derrière la caméra. Il a écrit plusieurs scénarios, mais c'est celui de La Faute à Voltaire qui séduit le producteur Jean-François Lepetit. Avec ce premier opus, qui décrit le quotidien d'un sans-papiers, entre galères et rencontres amoureuses, le jeune cinéaste révèle son talent d'observateur bienveillant, mais aussi son sens du romanesque et son amour des acteurs (ici, Sami Bouajila ou Aure Atika). Des qualités qui lui valent le Lion d'Or de la meilleure Première Oeuvre à Venise en 2000 -et qu'on retrouvera dans ses films suivants.
En 2003, Abdel Kechiche réalise avec peu de moyens son second long métrage, L'Esquive, l'histoire d'adolescents de banlieue qui répètent une pièce de Marivaux pour le lycée. L'authenticité de cette oeuvre subtile, qui met à mal les clichés sur les cités, est saluée par une critique unanime avant d'être le vainqueur-surprise des César : le film empoche 4 trophées, dont celui de Meilleur film. Kechiche se lance ensuite dans le tournage de La Graine et le mulet, ou le parcours du combattant d'un vieil immigré algérien qui veut ouvrir un restaurant à Sète. Cette vibrante oeuvre-fleuve reçoit un accueil triomphal à la Mostra de Venise en 2007, et en repart avec un Prix spécial du jury et le prix de la révélation pour la comédienne Hafsia Herzi. Les César plébiscitent une nouvelle fois Kechiche en lui offrant les mêmes quatre récompenses dont celui du meilleur réalisateur. Le cinéaste est accueilli chaleureusement à la Mostra trois ans plus tard, avec son long métrage Vénus noire, histoire marquante d'une femme noire exhibée telle une bête de foire au début du 19e siècle à Paris.
En 2012, c'est la consécration absolue pour Kechiche, qui remporte, conjointement avec ses deux actrices (une première !), la Palme d'Or lors du 66ème Festival de Cannes pour La Vie d'Adèle - Capitres 1&2. Librement adapté du roman graphique Le Bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh, le film raconte l'amour passionnel entre deux jeunes femmes. C'est un véritable triomphe et le long métrage, qui dure près de trois heures, met d'accord le public, les critiques, et le jury présidé par Steven Spielberg. De plus, il permet une nouvelle fois au réalisateur de révéler une jeune comédienne, Adèle Exarchopoulos, qui brille littéralement aux côtés de sa partenaire Léa Seydoux.
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