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João Pedro Rodrigues "Ce qui m’intéresse dans le cinéma, c’est le fait de découvrir un monde ve


La rétrospective Joao Pedro Rodrigues au Centre Pompidou, ainsi que la sortie de son dernier film, L’Ornithologue, sont deux prétextes assez suffisants pour s’entretenir avec le cinéaste portuguais; cependant, les sollicitations de la presse ont plutôt porté sur l’actualité immédiate (la promotion du « dernier-né ») que sur la cohérence, les motifs et les obsessions que chaque rétrospective révèle d’une oeuvre en particulier.


D’ou l’envie de revenir avec lui librement sur tel film, telle séquence, tel choix de mise en scène, pour être plus fidèle à l’injonction formulée par lui dans le Jardin des Fauves, le livre d’entretiens avec Antoine Barraud qui couronne la rétrospective, celle de parler d'abord des films : « Dans la critique et dans les interviews, ce que l’on dit sur les films reste souvent très impressionniste. On ne parle pas du concret, on ne parle pas vraiment du film. On aborde les idées qui sont dans le film ou à l’origine du film, des aspects sociologiques ou politiques, mais on ne parle pas de ce qui m’intéresse le plus : un film est fait d’images et de sons. »



En 2010, vous aviez mentionné La Chatte à Deux Têtes de Jacques Nolot comme un des films les plus marquants de la décennie 2000-2010. On ne peut s’empêcher de remarquer une certaine affinité, thématique et formelle, entre vos films et ceux de Nolot. Dans quelles conditions avez vous découvert ses films et dans quelle mesure ont-il pu vous influencer ?


J’ai eu la chance de rencontrer Jacques Nolot à l’ouverture de ma rétrospective au Centre Pompidou, et j’ai été très ému qu’il soit venu. Le premier film que j’ai vu de lui était « l’arrière pays ». Et « la chatte à deux têtes », bizarrement, je n’ai jamais pu le découvrir au cinéma. Seulement en DVD, c’est incroyable. Je ne sais pas si ce film m’a influencé. Si je fais des films c’est pour le plaisir de faire des films, de voir des films. J’ai découvert le cinéma à 15 ans et c’est plus cette idée de rencontre avec un univers et un cinéaste qui m’a touché. Pas un film en particulier. Effectivement je pense que Jacques Nolot est le plus grand cinéaste français vivant, et je lui ai dit. C’est d’ailleurs dommage qu’il ne fasse pas assez de films. Mais je comprend. Il faut trouver de l’argent, avoir le courage de les faire. Avoir l’idée en fait, surtout, même. Nolot fait des films qui parlent beaucoup de lui-même, et ce n’est pas le genre de film qu’on fait chaque année. Ce qui m’intéresse dans le cinéma, c’est justement le fait de découvrir un monde vers lequel on se sens invité, ou on va se sentir à l’aise et compris. Tout comme on comprend le film, intuitivement.



La rétrospective de votre oeuvre permet de prendre conscience d’un motif très récurrent, celui de l’enquête, de la filature, d’un travail d’investigation (que ce soit dans « Majong », « O Fantasma » ou dans « La Dernière fois que j’ai vu Macao »). Pourtant vous ne signez jamais de film policier, à proprement parler, vous l’évitez même. Comment expliquer ce paradoxe ?


Je n’ai jamais pensé mes films comme des enquêtes. Macao, peut être, s’est plus approché de cette idée. Plus dans la démarche que dans le film : quelqu’un qui cherche quelqu’un, comme un film noir… Dans les autres films je ne vois pas trop. Peut-être dans Majong, mais ici c’est plus une espèce d’écho de Macao. Dans tous ces films qu’on aime appeler nos « films asiatiques », il y a cet espèce de thème, de motif comme dans « Aube rouge » ou le film s’ouvre sur une chaussure qui va réapparaitre dans Macao puis dans Majong. Il y a une robe aussi, qui passe entre les films. Mais ces motifs étaient déjà dans « China China », notre premier film asiatique, ou il y a ce plan inspiré du Magicien d’Oz : un film sur une jeune femme qui veut sorti d’une monde ou elle habite, et qui passe d’un endroit à un autre… Mais l’enquête… Je ne vois pas. Je crois que je me suis plus approché de ça dans les films asiatiques ou le modèle du film noir/policier est assez présent…



Vos héros passent leur temps à revenir sur leurs pas, sur leurs traces, que ce soit Sergio, Odete ou Fernando ?


Ah… Ce n’est pas conscient. Vraiment pas (rires).



Que signifie la mort de Manoel de Oliveira pour les cinéastes portugais de votre génération ?


Il a vécu longtemps. C’est la moindre des choses qu’on peut dire : il est mort à 106 ans, je crois. C’est quand même une espèce de record. Il est dans un Guiness je pense, comme le plus vieux cinéaste vivant actif. La mort ne signifie pas grand chose pour moi. C’est très rare, en plus, qu’on arrive à 106 ans en travaillant. Je n’ai jamais connu Manoel de Oliveira personnellement, je l’ai connu par ses films. Ce qui m’a touché dans son travail s’arrête aux années 90. Amour de perdition doit être, pour moi, son plus beau film. C’était un très grand cinéaste, mais dans beaucoup de ses derniers films on sentait une certaine faiblesse par rapport aux précédents… Et j’ai envie de dire quelque chose d’un peu cruel : il n’a pas su s’arrêter. Et c’est dommage. Je me rappelle d’une rétrospective qui avait été organisée à la Cinémathèque portugaise autour de ses derniers films. Et bon…




"Je ne sais jamais quel va être

mon prochain film"



De Weerasethakul à Alain Guiraudie (l’Ornithologue rappelle à certains instants L’inconnu du lac), les cinéastes contemporains convoquent de plus en plus la forêt pour élaborer des fictions, et vous vous inscrivez dans cette voie avec votre dernier film « L’Ornithologue. A votre avis, pourquoi ce retour à la forêt, ce besoin de forêt au cinéma aujourd’hui ?


Aucune idée. De mon côté la forêt fait partie de moi depuis que je suis enfant. Je voulais être ornithologue. Donc la campagne et la forêt, la nature tout simplement, sont en moi depuis mon enfance. C’est alors plus un retour à mon enfance qu’un retour à la forêt. Il n’y a pas de démarche « générale », tout est accidentel. Chez Guiraudie, la campagne est présente depuis toujours. Le rapport à la nature fait partie de son cinéma, tout comme son rapport à la voix et les accents.



Parlons des métamorphoses de la musique maintenant. Dans « O Fantasma » et « Odete » sont utilisées beaucoup de reprises (« Dream Baby Dream » dans le premier, « Moonriver » dans le second »). Ces choix musicaux perturbent la perception, car ils constituent un écho lointain et non identifiable d’un air pourtant connu, et contribuent simplement, sans même les images, à créer de la nostalgie. Pouvez vous expliquez votre goût pour les reprises, qui vous a guidé dans la réalisation d’ « Odete » comme vous l’avez mentionné à la Rétrospective.


Normalement il n’y a pas beaucoup de musique dans mes film. Je pense qu’il y a trop de musique dans les films, dans la vie. Il y a de la musique de partout. Et il faut résister à ça. Dans les films, la musique est utilisée comme moyen d’uniformisation. Comme une grosse soupe. Les sentiments sont alors accentués, et je n’aime pas. En regardant mes films, les spectateurs remarquent souvent « qu’il n’y a pas de musique ». Cela monte bien qu’ils y sont habitué, et moi j’essaye de résister à cela. J’utilise la musique quand je pense en avoir besoin. Et dans Odete, l’idée était d’aller vers le mélodrame, ce qui signifie « drame avec musique ». L’émotion doit alors venir avec la musique. L’idée au départ était d’utiliser moonriver, la chanson des deux amoureux. Du coup j’ai cherché les reprises de cette chanson. Pour établir un thème qui revient, en plusieurs versions.



Quel rôle le hasard a-t-il joué dans votre carrière ?


Je ne sais pas. Je ne crois pas au hasard. Au début je voulais être ornithologue puis j’ai regardé des films et j’ai voulu faire ça. Ensuite j’ai fais une école de cinéma, réalisé des courts-métrages… J’ai travaillé pendant presque dix ans sur des films d’autres réalisateurs avant de faire les miens. Donc il n’y a pas de hasard. Et puis je ne travaille jamais de façon « programmatique », je ne sais jamais quel va être mon prochain film. Je ne travaille pas par thème, par groupe… Parfois j’entend des gens dire « tiens, je vais faire une trilogie sur je-ne-sais-pas-quoi… », et ça je ne vois pas trop comment faire… Je n’ai pas les idées organisées comme ça. Donc finalement, le hasard agit peut-être dans les idées. Je vois un « hasard » mystérieux. En portugais, hasard veut dire malchance. Donc bon.



Mais quel est l’événement de votre vie qui a été déterminant pour en arriver la aujourd’hui ? Si il y en avait un, précisément.


Déjà, j’avoue que je ne sais pas trop où je suis arrivé. Quand je fais des films, je ne pense pas trop à là où je vais. Bon, aujourd’hui j’ai une rétrospective au Centre Pompidou et deux nouveaux films. Et ça c’est surement parce que mes films touchent les gens. Enfin peut-être. Mais je ne vois pas… Je ne vois pas un « clic », un moment ou je me dis « Ah ! ». Il y a beaucoup de choses. C’est un ensemble… Je ne sais pas quoi répondre.



"Chaque film doit représenter un moment de votre vie,

quelque chose d’honnête envers vous-même"



Disons que cette question faisait écho à la commande du Centre Pompidou, « Où en êtes-vous Joao Pedro Rodrigues ? »


Oui mais déjà, soyons d’accord, j’ai réalisé un film qui ne répond même pas à la question (rires). Alors c’est pareil… Il faut aussi ne pas savoir répondre à toutes les questions. Il y a beaucoup de choses que je ne sais pas et à vrai dire, je suis assez content de ne pas les savoir. Si je savais tout, je n’aurais aucune raison de continuer à faire des films…



Avez-vous un « plus grand rêve de cinéma » ?


Pouvoir continuer à faire des films (rires).



Un conseil à adresser à un jeune cinéaste ?


Question difficile, aussi… Peut-être au niveau de l’envie. Il faut qu’elle vienne de soi-même. Il faut parler de soi-même. Je pense qu’il n’est pas possible de faire un film qui ne parle pas de soi. Et je ne parle pas forcément d’un récit autobiographique, mais plus d’un film personnel. Il faut que le fait de faire un film soit une nécessité. Chaque film doit représenter un moment de votre vie, quelque chose d’honnête envers vous-même. Et cela ne s’applique pas qu’à la réalisation d’un film, mais à la vie en elle-même : il faut savoir se regarder soi-même. Nous avons tous nos contraintes et nos limites. Et c’est en se connaissant soi-même qu’on peut les surmonter.

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