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DIALOGUE AVEC DIANE KRUGER ET FABIENNE BERTHAUD

 

DIALOGUE • CINÉMA

SAMEDI 24 FÉVRIER 2024

CINÉMA LE BALZAC • 20H

 

Samedi 24 février 2024, rencontrez Diane Kruger et Fabienne Berthaud au Cinéma le Balzac à l’occasion d’une conversation animée par Léolo Victor-Pujebet et Mathieu Morel, qui reviendra sur leurs trois collaborations et leur duo actrice-réalisatrice. Ce dialogue, centré sur leur travail et son évolution au fil des années, sera accompagné d'extraits de films.


La rencontre de Fabienne Berthaud et Diane Kruger est une collision, un point de croisement où deux trajectoires s’entrelacent pour inventer un cinéma d’un genre rare : celui de la fragilité des êtres, des déserts intérieurs, et de la nature comme extension de l’âme. Si leurs collaborations (Frankie, Pieds nus sur les limaces, Sky) incarnent des fragments de vies et des quêtes de liberté, elles s’inscrivent aussi dans un mouvement plus vaste, relevant d’une volonté de subvertir le récit filmique conventionnel, d’y inscrire une tension entre la recherche d’authenticité et l’échappée vers un ailleurs, un espace où l’image devient le prolongement de la psyché, une émanation de l’être.





La genèse de l’éclatement – Frankie ou la faille comme esthétique


Avec Frankie (2005), c’est moins une mise en scène du réel qu’une tentative de capter son effondrement. La trajectoire de ce premier film est celle d’un refus des archétypes, une errance où le personnage éponyme, incarné par une Diane Kruger au seuil de sa carrière, se confronte aux lignes de fuite de son existence. Loin d’une simple représentation d’un modèle qui vacille, le film explore les processus de déliaison, de désintégration, et s’échappe des contours d’une fiction ordonnée. Fabienne Berthaud prend le parti de l’inachevé, du fragment, filmant sur trois ans, en entrelacs, et confère ainsi à Frankie une temporalité flottante, semblable à un palimpseste.


La caméra s’attarde sur les détails, les traits de visage, les moments de suspension ; elle dissèque non pas la surface des événements, mais leur retentissement intime. Diane Kruger, alors figure montante du cinéma international, s’imprègne de cette vacuité et s’y abandonne, creusant son personnage comme on creuse une matière brute, faisant surgir par l’inquiétude des gestes et la défaillance des mots une subjectivité en lambeaux. Ce n’est pas seulement la chute d’un corps sous le poids de son image, mais une déconstruction totale de l’être, une mise en lumière de cette faille essentielle qui hante chaque tentative d’émancipation. La présence de Kruger, spectralement ambiguë, bouleverse toute tentative de catégorisation, et c’est précisément là que réside l’originalité de cette rencontre : une actrice qui ne joue pas, mais qui est, se défaussant des attentes de l’industrie pour se fondre dans l’incertitude du geste​.


Pieds nus sur les limaces – La dissidence des corps, la nature comme espace de révolte


Loin de reprendre les thèmes de manière linéaire, Fabienne Berthaud opère un mouvement de dissémination avec Pieds nus sur les limaces (2010). Cette fois, c’est le monde des marges qui s’impose, un univers d’extases et de ruptures où la folie douce devient un point d’appui pour une révolution intérieure. Le film, adaptation du roman éponyme de la réalisatrice, convoque deux sœurs : Clara (Diane Kruger) et Lily (Ludivine Sagnier). La dichotomie s’opère non pas selon une simple ligne de démarcation entre ordre et désordre, mais selon une tension permanente entre le désir de conformité sociale et l’aspiration à une autre forme de vie.


La nature est ici, davantage qu’un simple cadre, un espace d’altérité absolue. Berthaud y projette la possibilité de l’autrement, un lieu où les règles s’évanouissent et où l’humain se confond avec le végétal, l’animal, la matière. Clara, femme mesurée, tempérée par sa volonté de maîtrise, devient peu à peu le lieu de cette contamination lumineuse : sa sœur incarne la folie, le dénuement, mais aussi l’acceptation de l’être dans ses contradictions fondamentales. Kruger, en Clara, réagit à ces forces, entre attraction et répulsion, et c’est précisément dans ce mouvement que se dessine l’arc du film. Le jeu de l’actrice, dans sa retenue presque douloureuse, sa pudeur à la lisière de la rupture, traduit cette porosité des frontières entre normalité et étrangeté.


Fabienne Berthaud déjoue tout regard moralisant, et au contraire filme la dissidence des corps comme une vérité profonde, une émancipation du sens normatif de l’existence. C’est par la nature, filmée comme une sorte de matrice primordiale, que les personnages se révèlent, se trouvent et s’échappent. La caméra, toujours tenue par Berthaud, épouse les mouvements d’un monde où tout se dissout pour mieux renaître, où chaque geste est une déclaration silencieuse de liberté.


L’exil, le renoncement, et le vertige – Sky, ou la quête de l’identité dans l’immensité américaine


La route, le voyage, et la quête d’un soi à reconstituer : Sky (2015) s’empare des codes du road movie pour les déconstruire, les vider de leur sens premier, et en faire des surfaces de réflexion où chaque déplacement devient une expérience intérieure. Diane Kruger incarne Romy, femme fuyante, qui traverse l’Ouest américain comme on traverse un miroir brisé : chaque rencontre éclate la fiction, chaque paysage ouvre un espace de vide à combler. C’est un film où le motif de l’exil s’impose comme une condition sine-qua-non à toute tentative de se réapproprier son existence.


Berthaud et Kruger entreprennent ici un geste radical : s’affranchir des cadres connus pour donner au personnage de Romy une matérialité mouvante, instable, mais toujours en tension avec elle-même. La trajectoire de Romy est une quête d’identité à travers la négation, à travers la perte. La caméra capte cette errance, non pas comme un mouvement vers une résolution, mais comme une acceptation du doute. Les grands espaces américains, loin d’être un simple décor, incarnent le vertige de la liberté absolue, cette terre où toute structure s’érode sous le poids de l’immensité. Kruger y devient une figure spectrale, flottante, prise dans un mouvement perpétuel où le désir de vivre rencontre la possibilité du rien.


C’est également dans cette suspension que s’inscrit la rencontre entre Diane Kruger et Norman Reedus, tissée dans l’entre-deux du film, lors de ce tournage où fiction et réalité se confondent. Cette rencontre, facilitée par l’amitié profonde qui unit Berthaud et Kruger, dépasse l’anecdotique : elle incarne précisément ce que le film tente de révéler, une dissolution des frontières entre les rôles et les vies réelles. Ce moment où l’intime éclot au cœur même de l’acte cinématographique reflète la manière dont Berthaud ouvre des espaces où l’humain, débarrassé de ses représentations convenues, peut advenir. La caméra, en suivant cette dérive corporelle et spirituelle, fait de chaque déplacement une métaphore de la quête intérieure, une traversée du visible vers l’invisible, une disparition des repères au profit d’une nouvelle forme de conscience, à la fois cinématographique et existentielle.


Vers une poétique de la dérive


La collaboration entre Fabienne Berthaud et Diane Kruger s'apparente à un fil tendu entre deux précipices : l’un ouvre sur l’intime, l’autre sur l’ailleurs. Leur cinéma est celui de la dérive, du dévoilement, et de la faille comme espace de création. Diane Kruger, dans ses incarnations successives, se fait écho des obsessions de Fabienne Berthaud : la quête de l’émancipation, la vulnérabilité assumée, le désir d’être autre. La caméra de la cinéaste épouse la mouvance, l'incertain, et crée une tension constante entre la fuite et l’ancrage.


Ce qui rend leur dialogue si percutant, c’est l’engagement total de Diane Kruger, sa capacité à s’effacer pour mieux habiter des personnages en quête de sens, des êtres qui se frayent un chemin dans des zones de brouillard affectif, où chaque geste est une tentative désespérée de se saisir, de s’étreindre. Berthaud, de son côté, façonne un cinéma de la vibration, de l'instant pur, où chaque plan devient une plongée dans les profondeurs de l’âme, un espace de découverte où le réel et le rêvé s’entremêlent.

Ainsi, leurs films communs sont des traversées, des rites de passage où l’on marche sur le fil tendu de l'identité, où la lumière de l’écran éclaire les visages marqués par la quête de l’indicible. La sensibilité à fleur de peau de Berthaud, le jeu dépouillé de Kruger, forment un alliage unique, une chorégraphie de l’âme où le cinéma s’affirme comme un territoire où tout peut advenir, où l’émotion brute, à chaque instant, risque de tout emporter. Ce duo nous rappelle que le cinéma, lorsqu’il est porté par un désir de vérité et de dénuement, est avant tout une expérience de la fragilité humaine, un acte de résistance à la fixité du monde, une invitation à embrasser la fuite comme une forme radicale de présence à soi et à l’autre.


 

DIALOGUE AVEC DIANE KRUGER

ET FABIENNE BERTHAUD

SAMEDI 24 FÉVRIER 2024

CINÉMA LE BALZAC • 20H







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