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DIALOGUE AVEC FÉLIX VAN GROENINGEN

 

DIALOGUE • CINÉMA

SAMEDI 6 AVRIL 2024

FESTIVAL MUSIC & CINÉMA • 11H

 

Samedi 6 avril 2024, rencontrez le Felix Van Groeningen à l'occasion de la 25ème édition du festival Music & Cinéma de Marseille. Un dialogue animé par Léolo Victor-Pujebet.


Felix Van Groeningen est un orfèvre des émotions troubles, un cinéaste dont l’œuvre s’inscrit dans une esthétique de l’éclat, de la fragmentation et de la vulnérabilité. Trois mouvements parcourent sa filmographie : le chaos d’une filiation irrémédiable dans La Merditude des choses, la fêlure existentielle et la recherche d’un sens plus grand dans Alabama Monroe et Les Huit Montagnes, et enfin la lente désintégration d’un amour filial dans My Beautiful Boy. Ses films sont comme des partitions musicales qui explorent la dissonance des âmes, tout en s’accrochant aux fils ténus de l’espoir. Van Groeningen ausculte les relations humaines à partir de la décomposition des idéaux : l’amour parental, la fraternité, le couple, la communauté, les liens sociaux les plus évidents ne résistent jamais à l’épreuve du désastre. C’est une esthétique de la ruine, où la beauté est arrachée au sein même du désespoir.


La violence des origines – entre chaos et héritage


Il faut comprendre d’abord que Van Groeningen s’intéresse moins à la famille qu’aux formes que prend son délitement. En adaptant La Merditude des choses (2009), d'après Dimitri Verhulst, il dessine le portrait d’un chaos social et intime, d'une Belgique marginale où la précarité et l’alcoolisme engendrent des relations aussi destructrices que vitales. Le terme même de « merditude » invente un état, une condition de l’être où la vulgarité du quotidien n’a rien de passager. La maison décrépie, le père alcoolique, la violence qui se répète de génération en génération : Van Groeningen opère une plongée dans la laideur des existences que la société voudrait effacer, et pourtant, c’est dans cette fange même qu’il trouve matière à poésie. Comme un refus de tout manichéisme, il accorde aux personnages de la tendresse, leur crasse et leur échec révélant une humanité brutale, qui ne se prive jamais de moments d'exubérance ou de joie crue. Les relations père-fils, au cœur de ce récit, sont empreintes d’une ambivalence totale, oscillant entre rejet et attachement. C’est moins l’amour qui y est célébré que la difficulté à le maintenir, la complexité de l’héritage non désiré, d’une paternité qui pèse comme une condamnation.


La violence des origines se lit aussi dans la manière dont Van Groeningen éclate la temporalité de ses récits. La linéarité est brisée au profit d’une structure de strates, où chaque moment du présent semble hanté par des réminiscences du passé, chaque geste actuel étant la conséquence d’un événement antérieur, un écho déformé. Dans La Merditude des choses, le réalisateur ne cède jamais à la nostalgie d’un « âge d’or » de l’enfance. Chaque retour en arrière est comme une gifle : l’enfance est montrée comme le lieu où la violence se dépose dans les corps et les âmes, se sédimente, jusqu’à se transformer en une identité dont il est difficile de s’extraire. Ici, les blessures de la filiation deviennent les marques indélébiles d’un destin entravé, comme si chaque génération portait le poids de la précédente, dans un cycle de destruction et de survie.


Mais il y a aussi, dans ce chaos, une énergie brute, une force vitale qui rappelle que, pour Van Groeningen, le désordre peut être libérateur. La marginalité n’est pas seulement un échec social : elle devient une résistance, une manière de défier la norme et de créer ses propres règles. La caméra du cinéaste ne juge jamais, elle accompagne ses personnages dans leurs errances, leurs chutes, leurs débauches, et cette proximité avec le désastre humain confère à l’œuvre une authenticité déchirante.


Le chant du deuil – musique, amour et transcendance


Avec Alabama Monroe (2012), Van Groeningen élargit son champ d’exploration pour y inclure la question de l’amour, du deuil et de la croyance. Si l’origine du récit est la perte, la mort de l’enfant, c’est surtout la manière dont cette perte reconfigure tout le tissu émotionnel du couple qui intéresse le cinéaste. Adaptant une pièce de théâtre centrée sur le bluegrass, Van Groeningen n’a de cesse de transformer la musique en personnage, la rendant indissociable de la trajectoire des protagonistes. Ici, la musique n’est pas seulement un accompagnement ou une toile de fond : elle est le langage de l’âme, la structure même des émotions. Le bluegrass, musique américaine du Sud, vient teinter la Belgique d’une étrangeté, d’un ailleurs qui sert de refuge à Didier et Élise, le couple brisé au cœur du film.


C’est la dialectique du profane et du sacré qui traverse Alabama Monroe. Didier incarne la raison, le rejet de la religion et du mysticisme, tandis qu’Élise, tatoueuse dont le corps même raconte l’histoire, se tourne vers la spiritualité pour trouver un sens à la perte. Le film déploie alors une tension entre la croyance et le nihilisme, où chaque personnage cherche à combler l’irreprésentable deuil par des moyens opposés. La structure narrative, non linéaire, multiplie les points de fracture, les chevauchements entre passé et présent, créant une mosaïque d’émotions à vif. C’est dans cette fragmentation que réside la beauté du film : chaque moment d’amour, de joie, de douleur, devient une note dans une partition dissonante qui ne cherche pas la résolution, mais l’explosion de la sincérité.


Van Groeningen ne cache jamais la douleur de ses personnages, mais il refuse également de la réduire à une simple souffrance. La musique est là pour transcender, pour élever les cris et les larmes à une dimension quasi mystique, où chaque note est un appel à la vie, même dans sa tragédie. Le bluegrass devient alors le canal de cette transcendance, une manière de danser sur la blessure, de transformer le chagrin en une forme de résistance à l’absurdité de la mort. Le film s’achève sur une note de suspension, une vibration laissée en l’air, rappelant que la perte ne peut être contenue, ni expliquée, seulement ressentie dans toute sa complexité.


La quête de soi – entre errance et réconciliation


Dans ses films les plus récents, notamment My Beautiful Boy (2018) et Les Huit Montagnes (2022), Van Groeningen continue d’explorer la relation père-fils, mais avec une perspective de quête et d’errance. My Beautiful Boy transpose le conflit intérieur de ses films précédents dans le cadre de l’addiction. Ici, la drogue agit comme un révélateur, un agent de désintégration de l’amour familial, mais aussi une possibilité de confrontation avec soi-même. La structure du film, par ses flashbacks et sa narration non linéaire, traduit l’incapacité à saisir le moment exact de la perte. Chaque instant du passé semble porteur d’un autre destin possible, et pourtant, la spirale de l’addiction ramène sans cesse les protagonistes à leur propre impuissance.

Le geste de Van Groeningen est de révéler la beauté cachée dans les failles de cette relation. Les scènes entre David (Steve Carell) et son fils Nic (Timothée Chalamet) sont traversées par une tension constante : celle de la volonté de contrôle face à l’inévitable désintégration. Mais loin de faire du film une tragédie unilatérale, le réalisateur laisse émerger des moments de grâce, de tendresse, où la relation père-fils retrouve son souffle, comme une accalmie dans la tempête. La caméra, souvent proche des visages, capte chaque tremblement, chaque hésitation, soulignant le poids de chaque mot, chaque silence.


Avec Les Huit Montagnes, coréalisé avec Charlotte Vandermeersch, Van Groeningen se tourne vers la nature, l’espace de la montagne devenant à la fois lieu de fuite et de retour à soi. Adaptant le roman de Paolo Cognetti, le film s’attache à l’amitié de deux hommes que tout oppose, mais que l’expérience du silence, de la contemplation, rapproche. La montagne est une métaphore du monde intérieur : sa verticalité, son inaccessibilité, symbolisent la quête spirituelle de ses personnages. Le film prend le temps de la lenteur, des gestes infimes, des regards qui en disent plus que les mots, pour créer une atmosphère où la nature se fait miroir de l’âme.


L’esthétique de Van Groeningen dans ce film est épurée, contemplative, comme une tentative de retrouver un équilibre perdu. C’est une ode à la fragilité des liens humains, à la nécessité de s’égarer pour mieux se retrouver. Ici, la montagne n’est pas seulement un décor : elle est un espace de méditation, un lieu de retour aux fondamentaux, où la beauté se manifeste dans l’acceptation de sa propre finitude.

En somme, Felix Van Groeningen construit une filmographie où chaque œuvre est une variation sur la fragilité de l’humain. Ses personnages sont tous des survivants du désastre, des êtres qui, à travers la musique, l’amour ou la solitude, cherchent un ancrage, une réconciliation avec leur propre existence. Son cinéma, à la fois lyrique et brut, opère une mise à nu des âmes, révélant des beautés insoupçonnées au cœur même de la fêlure.





 

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SAMEDI 6 AVRIL 2024

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