MASTERCLASS MATTEO GARRONE
MASTERCLASS • CINÉMA
JEUDI 19 DÉCEMBRE 2024
LES ARCS FILM FESTIVAL • 15H
Jeudi 19 décembre, Matteo Garrone, invité d’honneur de la 16ᵉ édition des Arcs Film Festival, partagera avec le public une masterclass exceptionnelle animée par Léolo Victor-Pujebet et Simon Courtois suite à la projection de son dernier film, Moi Capitaine.
Cette conversation sera l’occasion de remonter aux sources d’un parcours atypique, ancré dans une formation initiale de peintre qui continue d’imprégner la texture visuelle des films du cinéaste. Matteo Garrone évoquera les rencontres qui ont jalonné sa trajectoire, ses inspirations littéraires et artistiques, mais aussi les méthodologies qui sous-tendent son travail : l’écriture comme cartographie des tensions sociales, la mise en scène comme expérience immersive, et sa direction d’acteurs, où le choix de non-professionnels traduit une quête d’authenticité brute.
Plongée dans l’univers d’un réalisateur qui, de Gomorra à Dogman, en passant par Reality et Le Conte des contes, capte les dynamiques invisibles du pouvoir, les fractures de nos sociétés et les récits ancestraux qui continuent de résonner au cœur des luttes contemporaines. Un moment privilégié pour découvrir les méthodes et inspirations d’un cinéaste qui façonne chaque image comme un seuil entre le mythe et le présent.
Que révèle l’œuvre de Matteo Garrone, sinon ces lignes de faille où les mythes anciens se heurtent aux cruautés du présent ?
Né à Rome en 1968 dans une famille où la culture tenait lieu de structure fondatrice, Garrone grandit dans un univers d’images et de récits. Son père, critique de théâtre, et sa mère, photographe, transmettent à leur fils une approche sensible des arts, où le détail et la composition priment sur la narration immédiate. Ce regard esthétiquement affûté s’enracine dans sa première vocation, la peinture, qu’il considère encore aujourd’hui comme la matrice de son cinéma. Celle-ci, explique-t-il, lui a appris non seulement à « regarder », mais à comprendre la façon dont chaque élément visible se lie à un réseau invisible de tensions, de forces contradictoires qui animent le réel.
Dès ses débuts, Matteo Garrone déploie un cinéma qui interroge ces tensions sans chercher à les résoudre. Avec Terra di mezzo (1996), un documentaire sur les travailleurs immigrés, il explorait les franges de la société italienne pour révéler les structures économiques et culturelles qui conditionnent ces existences. Les marges, dans son cinéma, ne sont pas des lieux périphériques ; elles deviennent des centres gravitationnels, des foyers où les vérités les plus complexes de nos sociétés trouvent leur expression. Garrone appréhende son médium comme un dispositif d’exploration minutieuse, une sonde qui pénètre les interstices des récits convenus, révélant ces failles imperceptibles où les structures narratives et sociales s’effondrent pour laisser affleurer des vérités fragmentaires, rétives à toute simplification.
Dans Primo Amore (2004), Garrone dissèque l’emprise et la dérive du désir à travers une relation où le contrôle du corps devient un exercice de pouvoir absolu. Inspiré d’un fait divers, le film capte, dans un dépouillement glaçant, l’obsession pathologique d’un homme pour la maigreur et la lente annihilation de l’identité de sa compagne. La froideur des cadres et l’austérité des espaces traduisent un étouffement graduel, où le désir de transformer l’autre s’impose comme une métaphore de l’effacement des volontés. Ce film s’inscrit dans la logique de l’œuvre de Garrone, où l’intime met en lumière les dynamiques de pouvoir qui traversent les relations humaines et les cadres imposés par le collectif.
Une lecture politique du pouvoir
Le pouvoir n’est jamais un concept abstrait. Il est tangible, incarné dans les relations, les corps, les espaces. Dans Gomorra (2008), inspiré de l’enquête de Roberto Saviano, il filme la mafia comme un réseau organique pénétrant chaque aspect de la vie quotidienne. Le film s’attarde sur les rouages, les acteurs anonymes, les trajectoires mineures qui composent cet écosystème. Matteo Garonne capte la manière dont la violence devient une grammaire, une norme sociale qui s’immisce jusque dans les gestes les plus anodins.
Le pouvoir, dans Gomorra, ne s’exerce pas frontalement : il est systémique. Chaque personnage – le tailleur exploité pour ses talents, les jeunes garçons fascinés par les armes, les entrepreneurs liés aux clans mafieux – est pris dans une logique où les choix individuels sont absorbés par une mécanique collective. Cette absence de héros ou d’antagonistes clairement définis reflète une pensée politique où l’individu ne se distingue pas des systèmes qui l’absorbent. Garrone imagine Gomorra comme un « film d’espace et de relations », où la géographie devient un acteur : les barres d’immeubles de Scampia, les terrains vagues, les entrepôts délabrés traduisent une forme de claustration, un environnement hostile où les personnages semblent prisonniers de leur condition.
Cette anthropologie du pouvoir traverse aussi Dogman (2018), mais dans une perspective plus intimiste. Le protagoniste, Marcello, est à la fois victime et acteur d’une emprise exercée par Simoncino, figure de pure brutalité. Leur relation, oscillant entre soumission, complicité et trahison, illustre la manière dont les structures de pouvoir infiltrent l’intime. Garrone ne propose aucune issue morale : la violence n’est ni une libération, ni une révolte. Elle est une contamination, une force qui finit par détruire ceux qui tentent de la manipuler.
Désirs aliénants : critique sociale et mythologies contemporaines
Le désir constitue un des moteurs narratifs les plus complexes abordé par le cinéaste. Dans Reality (2012), il scrute l’obsession de Luciano, poissonnier napolitain, pour la téléréalité, un monde qui promet une reconnaissance sociale à travers l’exposition de soi. Cette quête de visibilité, presque sacrificielle, devient une métaphore d’une société où l’être se confond avec l’apparence, où le regard de l’autre détermine la valeur de l’existence. Luciano, progressivement, s’éloigne de son quotidien, de sa famille, de lui-même, pour plonger dans une spirale où l’illusion supplante le réel.
Ce désir de transcender sa condition, qui finit par aliéner les personnages, prend une dimension mythologique dans Le Conte des contes (2015). Adaptant les récits de Giambattista Basile, Garrone met en scène des figures dont les passions, amplifiées jusqu’à l’extrême, détruisent tout sur leur passage. La reine, prête à sacrifier des vies pour avoir un enfant, ou le roi obsédé par une puce géante, incarnent des désirs incontrôlables, des forces qui déforment les relations, les corps et les âmes. Ces récits fantastiques, portés par une esthétique baroque, traduisent une pensée critique où les désirs humains, lorsqu’ils échappent à toute mesure, révèlent les excès et les absurdités des systèmes sociaux.
Avec Moi capitaine (2023), Garrone ramène cette réflexion sur le désir à une réalité contemporaine. Le périple de Seydou et Moussa, jeunes Sénégalais tentant de rejoindre l’Europe, est filmé comme une odyssée initiatique, où chaque étape devient une confrontation avec des systèmes d’exploitation et de déshumanisation. Garrone évoque ce film comme une « ode à la résilience », mais il ne sombre jamais dans une vision idéalisée de la migration : chaque épreuve, chaque obstacle traduit une violence structurelle qui réduit les individus à des marchandises. Pourtant, au-delà de cette critique sociale, le film capte aussi la puissance des liens humains, la solidarité fragile qui émerge dans ces espaces de fracture.
Récits initiatiques : le passage comme épreuve
Chez Matteo Garrone, le récit s’ordonne autour de trajectoires initiatiques où chaque passage révèle la condition paradoxale des personnages pris entre le poids des structures et l’aspiration à la transformation. Dans Pinocchio (2019), le conte de Collodi redevient un espace de réflexion sur les processus d’apprentissage et d’humanisation. L’expérience du jeune Pinocchio ne repose pas sur une métamorphose magique, mais sur une série d’épreuves où se confrontent désir et contrainte, naïveté et responsabilité. La rencontre avec Mangiafuoco, les promesses trompeuses de l’île des Plaisirs ou le passage par les entrailles du monstre marin dessinent un parcours fragmenté où chaque étape fonctionne comme une mise à l’épreuve des valeurs et des limites d’une humanité en construction. Garrone inscrit ces épreuves dans une matérialité rurale et brute, où le cadre visuel, souvent dépouillé, ne fait que renforcer la tension entre le mythe universel et une société enracinée dans des codes sociaux et moraux opaques.
Dans Moi capitaine (2023), ce motif initiatique s’inscrit dans le contexte des migrations contemporaines. Le périple de Seydou et Moussa agit comme un processus d’exposition aux violences structurelles d’un monde globalisé. Le désert, les camps de transit libyens, et la Méditerranée ne sont pas de simples lieux de passage : ce sont des dispositifs où s’inscrivent les rapports de pouvoir et de marchandisation des corps, des espaces où l’individu est contraint de négocier son existence dans un ordre qui le réduit à l’état de ressource exploitable. Garrone capte ces espaces dans leur matérialité oppressante, révélant les mécanismes d’un système économique et politique qui contraint à la fois les trajectoires et les subjectivités.
Le passage, dans ces récits devient une forme d’exposition à l’irréconciliable : dans Pinocchio, devenir un enfant ne purifie pas les erreurs du passé, et dans Moi capitaine, l’arrivée en Europe n’abolit pas les marques laissées par le système migratoire. Ces récits s’inscrivent dans une pensée du seuil où la transformation ne repose pas sur une promesse d’accomplissement, mais sur la confrontation à des tensions fondamentales : entre liberté et domination, désir et renoncement, individualité et structures collectives.
Une œuvre anthropologique et critique
Le cinéma de Matteo Garrone dépasse les cadres esthétiques ou narratifs pour interroger des structures profondes : les dynamiques de pouvoir, les mécanismes du désir, les épreuves de l’humanité face aux systèmes qui la contraignent. Chaque film devient une exploration des marges, des seuils, des passages, où l’intime et le collectif se mêlent dans des tensions irréductibles. Garrone, en captant ces tensions, compose une œuvre à la fois ancrée dans le réel et ouverte à des dimensions mythologiques, où chaque image invite à repenser les fractures de notre époque.
Par cette capacité à conjuguer une critique sociale rigoureuse et une profondeur anthropologique, Matteo Garrone s’affirme comme un cinéaste essentiel, dont l’œuvre, toujours en tension, ne cesse de résonner avec les crises et les aspirations de notre temps.
Cette conversation sera l’occasion de remonter aux sources d’un parcours atypique, ancré dans une formation initiale de peintre qui continue d’imprégner la texture visuelle des films du cinéaste. Matteo Garrone évoquera les rencontres qui ont jalonné sa trajectoire, ses inspirations littéraires et artistiques, mais aussi les méthodologies qui sous-tendent son travail : l’écriture comme cartographie des tensions sociales, la mise en scène comme expérience immersive, et sa direction d’acteurs, où le choix de non-professionnels traduit une quête d’authenticité brute.
MASTERCLASS MATTEO GARRONE
JEUDI 19 DÉCEMBRE 2024
LES ARCS FILM FESTIVAL • 15H
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Notre partenaire : Les Arcs Film Festival
Événement culturel majeur, le festival a pour vocation de promouvoir la diversité du cinéma européen et de faire découvrir les nombreux talents que compte notre continent.
Installé au cœur des Alpes, dans l’un des plus beaux domaines skiables au monde, le festival est l’occasion de profiter des premières neiges et de séances de cinéma tout au long de la journée en présence des cinéastes et comédiens. Tout cela dans une ambiance festive avec des soirées inoubliables, des animations, des concerts et des DJ.
Le festival propose une programmation ambitieuse, composée d'une centaine de films venus de tous les pays d’Europe (en incluant la Turquie et l'Ukraine).
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