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MASTERCLASS MIGUEL GOMES

 

MASTERCLASS • AVANT-PREMIÈRE • CINÉMA

LUNDI 14 OCTOBRE 2024

MK2 QUAI DE SEINE • 20H30

 

Lundi 14 octobre à 20h30, Découvrez en avant-première Grand Tour, le nouveau film de Miguel Gomes, lauréat du prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes, suivi d’une masterclass animée par Léolo Victor-Pujebet. 


Rangoon, Birmanie, 1918. Edward, fonctionnaire de l’Empire britannique, s’enfuit le jour où il devait épouser sa fiancée Molly. Déterminée à se marier, Molly part à la recherche d’Edward et suit les traces de son Grand Tour à travers l’Asie.


Dans Grand Tour, Miguel Gomes déploie un récit éclaté où les strates du temps s’entrelacent, sans jamais se résoudre. Comme une cartographie mouvante, le film traverse une Asie réinventée, dialoguant silencieusement avec l'ombre de Marker et la résonance mélancolique de Resnais. Chaque image, marquée par la tension entre le passé colonial et la modernité pandémique, devient un territoire de mémoire. Le cinéma de Gomes fait s’entendre des voix dissonantes, des langues inconciliables, dans une polyphonie étrange où le réel et la fiction cohabitent sans fusionner. Grand Tour est une célébration des fractures, où l’anachronisme se mue en geste poétique.






Grand tour : l’échappée Belle


Grand Tour de Miguel Gomes est un film qui semble échapper à toutes les tentatives de définition. Ni tout à fait fiction ni documentaire, ni tout à fait historique ni contemporain, il se déploie comme une cartographie de l’éphémère, où chaque image, chaque geste s’inscrit dans une quête mouvante, une errance sans retour. Le cinéma de Gomes est un art du mouvement, non pas seulement celui des corps, mais celui des récits, des temporalités, des émotions, qui se croisent, s’éloignent, se répondent. Et c’est sans doute dans cette tension, entre le désir d’ancrage et la nécessité de la fuite, que se joue toute la beauté de son œuvre. De Tabou à Les Mille et Une Nuits, Gomes s'affirme comme un cinéaste de la dissonance poétique, explorant sans cesse les frontières poreuses entre les mondes, entre les histoires, entre le réel et l’imaginaire. Dans Grand Tour, cette exploration atteint une forme de maturité et de liberté totale, où la caméra devient une boussole errante, un œil qui jamais ne s’attarde, toujours en quête de l’instant à saisir, du temps à saisir, sans jamais vouloir le fixer.


L’évasion comme poétique du voyage


La fuite est la pulsation même de Grand Tour. Edward, ce fonctionnaire britannique qui fuit le mariage et ses responsabilités, semble glisser sur les strates du monde, traversant une Asie rêvée sans autre projet que celui de se perdre. C'est une fuite délibérément inaboutie, comme une suspension de l'être, une volonté de diluer sa présence dans chaque paysage traversé, chaque visage croisé. Mais cette errance est moins une quête qu'un renoncement joyeux à tout ancrage, une célébration de l'impermanence. Miguel Gomes capte ce mouvement dans sa fragilité même, refusant tout effet dramatique ou tout ancrage réaliste pour laisser surgir la pure sensation de l’instant, la beauté fugitive d’un geste, d’un regard, d’un silence.


Ce mouvement perpétuel traverse toute la filmographie de Gomes, depuis La Gueule que tu mérites où le récit glissait déjà hors de toute logique narrative pour s’abandonner à une logique ludique, baroque. Dans Ce cher mois d’août, le réalisateur tournait son propre film en fuite, le scénario se construisant au gré des rencontres, des fêtes populaires, des chants, et cette errance joyeuse trouvait son apogée dans un montage musical, où la narration cédait la place à la dérive. Dans Grand Tour, cette dynamique se radicalise : le film devient une suite de fragments flottants, une collection de moments où la quête de sens s'efface au profit du pur plaisir de l'échappée.



Le dialogue des mondes : fiction et documentaire en miroir


À quoi bon tracer une frontière lorsque l’on peut jouer à la franchir constamment ? Grand Tour brouille les lignes entre documentaire et fiction, non par simple volonté de subversion des genres, mais par nécessité d’embrasser la multiplicité du monde. La caméra de Gomes capte la réalité en mouvement, mais toujours en tension avec une fiction qui surgit, s’immisce dans le cadre, brouille la lisibilité du monde. La pellicule devient le territoire mouvant de cette confrontation, où chaque plan est à la fois trace du réel et image recomposée.


Cette tension, déjà à l'œuvre dans Tabou, où la Lisbonne contemporaine se juxtaposait à une Afrique coloniale reconstituée en noir et blanc, atteint dans Grand Tour une nouvelle densité. Le film se tourne dans un double mouvement : capturer le monde tel qu'il est – une Asie contemporaine pleine de masques, de bruits, de lumières changeantes – et simultanément le réinventer dans un espace de studio, où les décors sont construits, où chaque détail est imaginé, où l’artifice devient une manière de révéler la profondeur d’une émotion, d’un instant. Ce dialogue permanent entre le réel et l’imaginaire n’est jamais une simple juxtaposition : il s'agit de faire coexister des espaces-temps, de faire surgir une troisième dimension de sens, une dimension poétique.


Le temps éclaté : entrelaçages et reflets


Le temps, chez Gomes, est une matière insaisissable, une onde mouvante qui se déforme, se brise, se réfléchit. Grand Tour s’affirme comme un film de l’anachronisme revendiqué, où chaque image semble flotter entre plusieurs époques, entre plusieurs mémoires. Edward fuit, mais vers où ? Vers quel horizon ? Cette question reste sans réponse, car la fuite elle-même est sans but, sans fin, comme une ouverture permanente vers le possible. Le montage éclaté, ponctué de silences et de voix-off, vient renforcer cette sensation de vertige, de décalage : les plans se succèdent comme autant de fragments qui ne cherchent jamais à former un tout, mais à créer une vibration, une résonance, un écho.


Ce jeu sur la temporalité est présent dans tous les films de Gomes, mais il prend ici une forme plus introspective. Dans Les Mille et Une Nuits, les récits multiples se répondaient, s'enchaînaient dans un flot continu, explorant les réalités sociales et politiques du Portugal contemporain. Dans Grand Tour, le temps devient une matière plus plastique, moins narrative, où chaque moment est une strate de mémoire, une image mentale qui s’ouvre sur d’autres strates, comme une peinture impressionniste qui superposerait les couches de couleurs pour créer une impression de profondeur, de mouvement. Et si chaque plan est un écho, c’est parce que le film lui-même est une quête de l’instant : saisir ce qui s’échappe, capter ce qui disparaît, laisser le temps se déployer comme une vague, une onde qui se répercute.



Poésie de l’artifice : célébrer la fiction


Le cinéma de Miguel Gomes célèbre la fiction comme une matière vivante, une manière de faire émerger la beauté dans le fragile équilibre entre la lumière et l’ombre, entre l’artifice et la vraisemblance. Le film s’ouvre sur une grande roue illuminée dans la nuit, tournant sans fin dans un mouvement hypnotique. Ce premier tour de roue n’est pas qu’une image flottante, c’est une mise en abîme, une métaphore de tout ce qui va suivre : le mouvement circulaire et infini du regard, le vertige d’une errance sans but qui s’échappe sans cesse vers un ailleurs inatteignable. Comme une promesse d’évasion et de retour, la grande roue célèbre la répétition, la fuite en avant et l’éternel recommencement des histoires humaines. Mais cette grande roue évoque surtout le cinéma lui-même, ce médium où chaque rotation de la pellicule fait surgir un nouvel éclat, une nouvelle révélation, tout en rejouant, comme en écho, les mouvements du passé. Elle célèbre ce perpétuel retour sur soi qui n'est jamais redite mais reconfiguration, déplacement du regard, changement d’angle et de lumière. Car le cinéma, pour Gomes, est cet art de l'immédiateté transfigurée, de l’instant saisi dans son inachèvement, sa pulsation vive. Loin d’être une simple répétition, ce mouvement circulaire est un geste de réinvention constante, où chaque cadre, chaque image, ouvre sur des perspectives insoupçonnées, des émotions prêtes à surgir.


C’est cette circularité que Gomes revendique, une circularité qui n’est jamais enfermement, mais une ouverture sur l’infini des possibles. Grand Tour embrasse cette esthétique de la roue qui ne s’arrête jamais, comme un regard qui ne peut se fixer, qui ne cesse de tourner, de revenir sur lui-même pour mieux repartir vers l’horizon. Chaque plan, chaque scène, devient une fête de l’artifice, une célébration de la magie de l’image, où le décor de studio, loin d’être une contrainte, devient un espace de réinvention, un lieu de poésie visuelle. Il y a dans ce geste une générosité, une confiance dans le pouvoir du cinéma à réenchanter le monde, à faire surgir des éclats de beauté dans les interstices du réel.


L’artifice se fait révélateur d’une vérité intime, une façon de dénuder les protagonistes dans leur quête de sens, dans leurs élans, leurs fuites, leurs passions. C’est dans cette suspension que Gomes fait cohabiter les éléments les plus contradictoires : le rire et la mélancolie, la distance et l’intimité, le fantasme et la réalité. L’artifice, ici, n’est pas une échappatoire mais une forme de révélation. La pellicule devient une matière alchimique, transformant la lumière, les ombres, le grain de l’image en autant de touches impressionnistes qui font vibrer chaque instant.

Dans cette manière de filmer le mouvement et la quête féminine, il y a des échos subtils à Cléo de 5 à 7, mais sans que la référence ne soit jamais appuyée. Molly, tout comme Cléo, est une femme qui habite le temps, une femme en quête d’un amour ou d’une liberté qui toujours lui échappe. Mais là où Cléo parcourt les rues de Paris dans une temporalité anxieuse, consciente de chaque minute qui s’écoule vers une possible fin, Molly s’élance dans une temporalité ouverte, libérée des contingences, prête à s’abandonner à l’inconnu, à courir vers l’horizon sans jamais craindre de le dépasser. Son mouvement n’est pas linéaire, il est circulaire, comme cette grande roue qui revient sans cesse sur ses pas, pour mieux recommencer.





La mise en scène de Gomes, dans sa construction sophistiquée, est aussi une manière de jouer avec cette circularité, de créer des boucles de sens, des retours en arrière, des échos visuels et sonores. Les décors se fondent dans les paysages, les scènes se répètent, se répondent, comme des refrains qui surgissent pour dire quelque chose que les mots ne peuvent saisir. La fiction n’est alors plus seulement une histoire, elle est une atmosphère, un rythme, une respiration. Elle est ce mouvement qui, en tournant sur lui-même, ouvre sans cesse de nouvelles voies, de nouveaux possibles.

La pellicule, dans sa matérialité même, devient un élément de cette poétique. Chaque grésillement, chaque tremblement, chaque imperfection de l'image vient rappeler que le cinéma est une matière vivante, qu’il n’est jamais figé, qu’il respire. Et cette respiration, cette fragilité de l’image, rejoint la fragilité des personnages, leurs fuites, leurs doutes, leurs éclats de rire. Filmer l’artifice, c’est aussi filmer cette vérité du moment, cette vérité qui n’est jamais fixe, mais toujours en mouvement, comme une roue qui tourne et tourne encore, à la recherche de ce qui, dans le monde, échappe à la fixation, à la représentation.


Ainsi, Grand Tour est un film qui célèbre le cinéma comme un art du déplacement, un art de la rencontre, un art de la perte. C’est une œuvre où la beauté réside dans le déséquilibre, dans le contretemps, dans la tension permanente entre ce qui est dit et ce qui est tu. Miguel Gomes, en assumant pleinement la fiction, en jouant sur la fabrique des images, nous invite à repenser notre rapport au monde, à accepter que la vérité n’est jamais là où on l’attend, qu’elle se cache dans les interstices, dans les jeux de lumière, dans les silences entre les mots. Grand Tour devient alors plus qu’un film, il devient une expérience, une danse, une grande roue qui, en tournant, ouvre le monde à l’infini de ses possibles, à l’éclat de ses instants éphémères.


 

AVANT-PREMIÈRE DU FILM GRAND TOUR

ET MASTERCLASS DE MIGUEL GOMES

animée par Léolo Victor-Pujebet


LUNDI 4 OCTOBRE 2024

MK2 QUAI DE SEINE • 20H30

14 Quai de la Seine 75019 Paris






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